Base militaire de Quantico, États-Unis, juillet 2008

La sonnerie du téléphone à carte que Diane venait d’acheter et dont une seule personne connaissait le numéro se déclencha. Elle repêcha l’appareil à la hâte dans son sac à dos.

— Docteur Silver, nous pouvons classer le dossier « Boston », annonça une voix guillerette.

— Bien ! Vous avez fait vite, commenta la psychiatre d’un ton admiratif.

— Il le fallait. Une fille a eu très chaud ! Au fait, il était orphelin et…

— Je m’en fous ! le coupa la voix, maintenant sèche. Vous voulez une courte liste d’orphelins ? Jean-Sébastien Bach, Albert Camus, Tolstoï, Keats, Steven Paul Jobs d’Apple, Jean-Jacques Rousseau, et j’en passe ! Alors ne me faites pas le coup des circonstances atténuantes. La seule chose qui m’importe, c’est qu’il ne tue plus.

Un éclat de rire joyeux salua cette cinglante repartie :

— Je vous ai eue ! Quant à tuer, non, là… il ne peut vraiment plus. Je pars après-demain pour New York. Je vous tiens au courant.

— Bien. (La voix, tendue cette fois, acheva :) Rupert ? Merci.

— Nooon ! Merci à vous. À très vite, j’espère. Diane… Prenez soin de vous. Nous avons tant de travail à accomplir ensemble ! Combien de tueurs en série sont dans la nature, selon vous ?

— Les évaluations sont très variables, peu fiables. Aux États-Unis, je dirais entre deux cent cinquante et quatre cents.

 

— Multipliés par dix à cent victimes chacun…

— Les chiffres sont flous, approximatifs, très, précisa-t-elle.

— Mais leur manifestation est d’une effroyable clarté.

— En effet.

— Prenez soin de vous, répéta-t-il. (Puis, dans un rire de gorge :) Vous êtes la femme la plus importante de ma vie. L’être le plus important.

— Eh bien, je vais décider de prendre cela pour un compliment, plaisanta-t-elle.

— Et vous avez raison.

 

 

En fin d’après-midi, alors qu’elle revenait du distributeur en se demandant quelle perversité la poussait à avaler cet affreux breuvage baptisé de façon frauduleuse « café », Mike Bard vint à sa rencontre.

— Vous êtes au courant ? lança-t-il sans préambule.

— De quoi ?

— Le tueur de putes, à Boston… Dézingué, dans une chambre de motel, à Roxbury. Ses empreintes digitales l’ont confirmé et l’ADN est en cours. Il devait y avoir une fille avec lui. On a retrouvé des bouts de cordes tranchées et un collant dans la salle de bains. Le réceptionniste a précisé qu’une tapineuse avait loué la chambre pour deux heures. Au bout de trois heures, il est allé les virer. C’est là qu’il a découvert le gars. Dans un sale état. Le truc carrément bizarre, c’est qu’il a été écorché. Une partie du visage et une cuisse. Ça ne vous évoque rien ?

— Quoi ? s’exclama Diane sans que son ton ne se modifie.

— Ouais, vous m’avez entendu.

— Attendez, comment nos deux enquêtes pourraient-elles se croiser ? Si ça se trouve, nous avons affaire à un copy cat, un type qui a entendu parler du tueur de Valdez et d’Armstrong et à qui ça donne des idées.

— Je sais pas.

Il lui jeta un regard insistant avant de prendre congé sur un :

 

— Vous aimez le risque, je vois.

— Pardon ?

Il désigna le gobelet qu’elle tenait.

— Faut aimer le risque pour boire cette purge !

— On ne meurt qu’une fois, rétorqua-t-elle en poussant la porte de son bureau.

Elle demeura là, debout derrière la porte. La réflexion de Mike Bard l’avait troublée. Elle y avait senti davantage qu’une simple histoire de mauvais café. Devenait-elle paranoïaque ? Elle soupira d’agacement : rien à foutre de Bard et de ce qu’il pouvait penser d’elle !

En revanche, un problème lui tenait à cœur : Yves. Yves, le seul être qui soit parvenu à percer sa carapace alors qu’il n’avait pas grand-chose en commun avec elle, si ce n’était une idée de justice. C’est sans doute la définition du véritable amour. Aimer ce qui est autre. Au fond, l’attirance intellectuelle qu’elle se sentait avec Nathan/Rupert était plus simple, plus évidente : leur but fondamental était similaire, même si des raisons différentes les avaient conduits là : protéger les agneaux de leurs prédateurs. Ce qu’elle partageait avec Yves était beaucoup plus flou, beaucoup plus compliqué et plus précieux sans doute : une conception de l’Homme et de la civilisation.

Yves ne la reconnaîtrait plus maintenant qu’elle avait franchi le pas décisif, celui dont on ne peut pas revenir. En son âme et conscience, Diane était certaine d’avoir fait le choix inévitable. Toutefois, l’idée de perdre Yves était une souffrance à laquelle elle ne s’était pas attendue, elle qui pensait qu’aucune autre souffrance, hormis Leonor, ne pouvait plus lui advenir.

Et si Yves et cette Heurtel s’obstinaient à retrouver l’assassin de Louise et de Cyril, qu’allait-elle faire ?

Elle avait eu raison, raison !

Mais Yves ne serait pas d’accord. Or, seul le jugement du flic français comptait aux yeux de Diane.

 

FIN



[1]Voir la pétition internationale pour le retrait des œuvres de Guillermo Vargas Habacuc de la Biennale d’art contemporain de 2008 au Honduras.

[2]« La connaissance, c’est le pouvoir. »

[3]Elle n’existe plus dans l’État du Massachusetts.

[4]Certains éléments de la description sont empruntés au tueur dit « des cannes à sucre ». Voir à ce sujet Une femme sur la trace des serial killers, Micki Pistorius, Stéphane Bourgoin, Paris, Éditions n°1,2000.

[5]Philip Pullman, traduit de l’anglais par Jean Esch, Paris, Gallimard Jeunesse, « Folio Junior », 1998.

[6]En fait, il s’agissait d’une Anglaise. Elle a été arrêtée.

[7]Sun Tzu, L’Art de la guerre, traduit du chinois par Jean Lévi, IVe siècle avant J. C., Paris, Hachette littératures, « Pluriel-inédit », 2000.

[8]« Injustice et impunité » autour de scandales de pédophilie dans l’État mexicain d’Oaxaca », Le Monde, 27-28 avril 2008.

[9]Les Nations unies estiment que 80.000 enfants mexicains sont victimes de pédophilie. Le Mexique serait le troisième « producteur » au monde de pornographie pédophile.

[10]Agence fédérale d’investigation, équivalent mexicain du FBI.

[11]Chasseur.

[12]Eragon, Christopher Paolini, traduction de Bertrand Ferrier, Bayard Jeunesse, 2006.

Dans la tête,le venin
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